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1 mai 2022 7 01 /05 /mai /2022 07:40

LUkraine, un affrontement planétaire entre « démocratie et autocratie », comme le proclame le président américain Joseph Biden, repris en boucle par les commentateurs et les politiques occidentaux ? Non, rétorque la voix solitaire du journaliste américain Robert Kaplan, « même si cela peut paraître contre-intuitif ». Après tout, « l’Ukraine elle-même a été depuis de nombreuses années une démocratie faible, corrompue et institutionnellement sous-développée ». Au classement mondial de la liberté de la presse, le rapport de Reporters sans frontières 2021 la classe au 97e rang. « Le combat, ajoute Kaplan, porte sur quelque chose de plus large et de plus fondamental, le droit des peuples à décider de leur avenir et à se libérer de toute agression » (1). Et il remarque, ce qui est une évidence, que nombre de « dictatures » sont alliées aux États-Unis, ce que d’ailleurs il ne condamne pas.

Si, au Nord, les voix discordantes sur la guerre en Ukraine restent rares et peu audibles tant une pensée unique en temps de guerre s’est à nouveau imposée elles dominent au Sud, dans ce « reste du monde » qui compose la majorité de l’humanité et qui observe ce conflit avec d’autres lunettes.

C’est une des raisons pour lesquelles un nombre significatif de pays, notamment africains, se sont abstenus sur les résolutions de l’Organisation des Nations unies (ONU) concernant l’Ukraine — des dictatures bien sûr, mais aussi l’Afrique du Sud et l’Inde, l’Arménie et le Mexique, le Sénégal et le Brésil. Et, fin avril, aucun pays non occidental ne semblait prêt à imposer des sanctions majeures contre la Russie.

Au  Forum de Doha (26-27 mars 2022), où se sont côtoyés plus de deux mille responsables politiques, journalistes et intellectuels venus des quatre coins de la planète, les pays du Sud « compatissent à la détresse du peuple ukrainien et considèrent la Russie comme l’agresseur. Mais les exigences de l’Occident, qui leur demande de faire des sacrifices coûteux en coupant leurs liens économiques avec la Russie sous prétexte de maintenir un “ordre fondé sur le droit”, ont suscité une réaction allergique, car l’ordre invoqué a permis jusque-là aux États-Unis de violer le droit international en toute impunité »).

 Les relations entre Riyad et Washington se sont grippées. Domine dans le Golfe l’idée que les États-Unis ne sont plus un allié fiable — on rappelle leur « lâchage » du président égyptien Hosni Moubarak en 2011 et leur retraite piteuse d’Afghanistan, leur volonté de négocier avec l’Iran sur le nucléaire sans prendre en compte les réserves de leurs alliés régionaux, leur passivité face aux attaques de drones houthistes contre des installations pétrolières saoudiennes, même quand M. Donald Trump, supposé être un ami de Riyad, était encore président. L’élection de M. Biden a empoisonné le climat. Il avait promis de traiter l’Arabie saoudite comme un paria à la suite de l’assassinat du journaliste Jamal Khashoggi en octobre 2018, dont les services de renseignement américains attribuent la responsabilité à Mohammed Ben Salman (« MBS »), le tout-puissant prince héritier saoudien ; il avait également dénoncé la guerre menée au Yémen.

Pour le Proche-Orient  la Russie ne porte pas seule la responsabilité de la guerre,  un éditorialiste égyptien  évoque « une confrontation entre les États-Unis et les pays occidentaux d’une part, et les pays qui rejettent leur hégémonie d’autre part. Les États-Unis cherchent à redessiner l’ordre mondial après s’être rendu compte que, dans sa forme actuelle, il ne sert pas leurs intérêts, mais renforce plutôt la Chine à leurs dépens. Ils sont terrifiés par la fin imminente de leur domination sur le monde, et ils sont conscients que le conflit actuel en Ukraine est la dernière chance de préserver cette position  ».

L’autre ligne d’argumentation des médias arabes dénonce le double langage des Occidentaux. Démocratie ? Libertés ? Crimes de guerre ? Droits des peuples à disposer d’eux-mêmes ? Les États-Unis, qui ont bombardé la Serbie et la Libye, envahi l’Afghanistan et l’Irak, sont-ils les mieux qualifiés pour se réclamer du droit international ? N’ont-ils pas aussi utilisé des armes à sous-munitions, des bombes au phosphore , des projectiles à uranium appauvri ? Les crimes de l’armée américaine en Afghanistan et en Irak ont été largement documentés sans jamais aboutir à des inculpations — et ce n’est pas faire injure aux Ukrainiens de reconnaître que, pour l’instant, les destructions infligées à ces deux pays dépassent de loin celles qu’ils subissent tragiquement.

La Palestine, occupée totalement depuis des décennies alors que l’Ukraine ne l’est que partiellement depuis quelques semaines, reste une plaie vive au Proche-Orient, mais elle ne suscite aucune solidarité des gouvernements occidentaux, qui continuent à offrir un blanc-seing à Israël.. Enfin, le traitement différencié accordé aux réfugiés ukrainiens, blancs et européens par rapport à ceux du « reste du monde », asiatiques, maghrébins et subsahariens, a suscité une ironie amère au Proche-Orient, comme dans tout le Sud.

 Ce positionnement de divers pays arabes, comme plus largement celui du Sud, ne se fait pas au nom d’une nouvelle organisation du monde ou d’une opposition stratégique au Nord — comme celle pratiquée par le Mouvement des non-alignés dans les années 1960 et 1970, allié au « camp socialiste » — mais au nom de ce qu’ils perçoivent être leurs propres intérêts.

Alors que s’estompent les lignes de partage idéologiques d’antan, que les promesses d’un « nouvel ordre international » faites par Washington au lendemain de la première guerre du Golfe se sont englouties dans les déserts irakiens, un monde multipolaire émerge dans le chaos. Il offre une marge de manœuvre élargie au « reste du monde ». Mais le drapeau de la révolte contre l’Occident et son désordre ne constituent pas (encore ?) une feuille de route pour un monde qui serait régi par le droit international plutôt que par le droit du plus fort.

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