Encore sous le coup d’une enquête préliminaire, les manifestants interpellés le 1er Mai à la Salpêtrière, à Paris, reviennent sur leur arrestation et leurs conditions de garde à vue.
«Pendant trente heures, on m’a fait passer pour une criminelle. » Cinq jours plus tard, Marie ne s’en remet toujours pas. La jeune fille de 21 ans fait partie des trente-quatre personnes interpellées le 1er Mai aux abords de la Pitié-Salpêtrière, puis accusées par le ministre de l’Intérieur d’avoir « attaqué un hôpital » et « agressé le personnel soignant ». Depuis, on le sait, Christophe Castaner a dû ravaler ses mensonges. Et tente avec l’appui du gouvernement d’effacer cette mauvaise « séquence », comme on dit. Après avoir goûté aux cellules de garde à vue, Marie, elle, n’est pas prête de tourner la page. Une certitude : la jeune fille et plusieurs dizaines d’autres interpellés ne se laisseront pas faire. D’une manière assez inédite, ils se sont réunis dans un collectif baptisé les 34 de la la Pitié. Pour s’épauler dans cette épreuve judiciaire. Et livrer leur version. Samedi, lors d’une conférence de presse organisée dans un local prêté par la CGT, ils ont raconté dans un texte commun le déroulé précis des faits avant leur arrestation commune, les « abus de pouvoir » et les « violences psychologiques » qui s’en sont suivies lors de leurs trente heures de garde à vue.
. « Le seul objectif était de fuir les gaz lacrymogènes et les charges policières d’une violence démesurée sur le boulevard de l’Hôpital », rappellent-ils. Dans la panique, ils se sont réfugiés derrière la grille qui était ouverte, selon eux, « sans réaliser pour certains que nous pénétrions dans l’enceinte d’un bâtiment public », a fortiori la Pitié-Salpêtrière. Corroborant divers témoignages, ils affirment n’être montés sur l’escalier menant au service de réanimation que pour fuir CRS et voltigeurs arrivés, menaçants, avec leurs matraques, chacun à un bout de l’allée. « À aucun moment nous ne savions qu’il s’agissait du service de réanimation, ce n’était indiqué nulle part. Nous ne sommes jamais entrés dans le bâtiment. Ce n’était ni une attaque ni une intrusion violente. » Ils n’opposeront d’ailleurs pas la moindre résistance à leur interpellation.
Ce scénario, plusieurs vidéos le confirment clairement. Ce que l’on sait moins, c’est la suite de leur calvaire. Emmenés au dépôt du quai des Orfèvres, sous l’ancien palais de justice de l’île de la Cité, les manifestants sont aussitôt placés en garde à vue. Tous passent à la fouille, certains portent des menottes sans raison. Loïc, 20 ans, décrit des conditions de détention plus que limites. Pas de couverture, la fenêtre ouverte, les railleries de policiers lançant : « Ben alors toi tu es étudiant, qu’est-ce que tu fais à la manifestation des travailleurs. ». Le plus jeune des interpellés est encore choqué : « C’était long, et nous avons eu peur », résume le jeune homme, dont c’était la première expérience avec la police.
Les interpellés énumèrent : « Trois femmes ont été isolées dans une cellule de dégrisement d’environ 8 mètres carrés avec caméra pendant trente heures. D’autres étaient en cellules partagées, mais ne disposaient que de deux matelas pour quatre, ou n’ont pas pu manger de repas avant le lendemain 13 heures. Certains ont eu leurs lunettes de vue retenues lors de la fouille et ont dû signer des papiers sans savoir à quoi ils s’engageaient. Ils nous ont mis dans des cellules surchauffées ou glaciales, à même le sol. Certains n’ont pas eu accès à leurs médicaments pendant la durée entière de la garde à vue, ont demandé un médecin qu’ils n’ont jamais eu. » Le communiqué parle aussi de réveil intempestif en pleine nuit, y compris par des policiers faisant racler des clés sur les grilles des cellules.
Les avocats ont été tenus à distance jusqu’au lendemain de l’interpellation, renforçant ce climat de peur et d’incertitude. Même les proches sont dans l’ignorance. Les interpellés ont subi des pressions pour signer des dépositions « en pleine nuit, au moment où nous étions psychologiquement faibles », et sans avoir pu voir leur conseil. Maintenu en détention entre vingt-huit et trente heures, les manifestants semblent avoir été traités comme un gang de criminels dont il faudrait obtenir l’aveu : « Pour certains, les questions étaient posées de façon à nous inculper, tandis que d’autres se faisaient amadouer pour témoigner. Certains se sont fait insulter et humilier lors de ces dépositions, étant menacés d’être renouvelés de garde à vue pour vingt-quatre heures et de finir au dépôt le vendredi soir. »
Camille Bauer et Laurent Mouloud (extrait de l'article de l'Humanité.)
Cela ne se passe pas dans un horrible pays totalitaire mais en France en mai 2019. Comme pour Orange, il faudra que les coupables rendent des comptes , lorsque cela sera devenu insupportable au peuple français. Les vrais coupables, c'est à dire les donneurs d'ordres.