Des bruits de plus en plus insistants font état de difficultés à Montpellier sur la présence dans la liste de gauche d'une candidate communiste militante laïque défendant l'école laïque mais portant le foulard.
Le blog apporte sa vision dans un article plus long que d'ordinaire mais justifié par l'actualité.
Les insuffisances de la laïcité que nous avons héritée de l'histoire deviennent des trous béants. La neutralité religieuse ne suffit plus à la définir, pas plus que les visions légalistes de beaucoup de rationalistes
La France du XXIème siècle a profondément changé. Lorsque 45 % des femmes musulmanes sont au chômage, la neutralité et la séparation des églises et de l’Etat ne suffisent plus à fonder une laïcité acceptable par tous. Les discriminations concrètes de tous ordres de moins en moins tolérées par les victimes font irruption dans le débat.
Les musulmans forment une importante minorité, le consensus social lié au rôle d’ascenseur social de l’école a explosé, les ghettos se sont multipliés, le désir d’intégration des nouveaux arrivants s’est affaibli.
Isabelle Adjani dans l'Humanité du 7 décembre 2016 nous explique : "L'héritage du traitement inacceptable de tous les immigrés, dans les années 1960 a stigmatisé l'histoire de ceux qui ont voulu s'assimiler jusqu'à l'effacement, pour offrir à leurs enfants la vie qu'ils voulaient la meilleure possible. Parce qu'ils ont subi en silence et se sont inclinés. Ce qu'on vit maintenant, ce sont les conséquences d'un ostracisme, d'une forme de ghettoïsation de cette première génération qui venait en France effectuer les travaux les plus éprouvants. On se retrouve avec une troisième génération, dont on n'a pas valorisé l'origine des parents et des grands parents, à qui on n'a pas expliqué d'où ils venaient ni pourquoi immigrer fut au prix d'un tel renoncement. Ils ont le sentiment douloureux de n'être ni Français ni des pays d'origine de leurs parents et rejettent la laïcité, comme si elle constituait le déni de leur existence. Ils vont chercher là où c'est le plus dangereux un éclairage sur leur identité." Nous avons un précédent dans notre histoire, la troisième génération cévenole qui a reproché à ses parents et grands-parents l'acceptation résignée des dragonnades et de la Révocation de l'Edit de Nantes et s'est engagée dans la guerre des camisards.
On ne saurait mieux faire le lien entre la crise sociale, le ghetto et la laïcité. Chez ceux qui sont moins radicalisés cela ira moins loin, mais le socle de l’universalisme sur lequel nous croyons être installés est ébranlé. La question du foulard cristallise la crise de la laïcité. Symbole d’oppression d’un sexe sur l’autre (qu’il soit accepté par la femme ne fait rien à l’affaire) il est rejeté avec dégoût et ce rejet d’un symbole visible imprègne l’esprit très profondément.. La réflexion est brouillée. La mère de famille en foulard qui accompagne sa progéniture en voyage scolaire pose problème. Ecoutons Dounia Bouzar qui a créé un centre de prévention contre les dérives sectaires (Humanité du 20 novembre 2015) : "nous n'avons pas pris conscience…à quel point certaines initiatives ont été nocives. Je pense aux mamans portant un foulard qu'on empêchait d'accompagner les enfants lors des sorties scolaires. Ceux qui défendent cette opinion n'imaginent même pas combien ils alimentent les théories du complot contre l'islam. Qu'un enfant ne puisse pas voir sa maman à côté de l'institutrice parce qu'elle porte un foulard, c'est violent, en fait. Il faut vraiment faire attention parce que les islamistes n'attendent que cela, ils cherchent à nourrir cette idée que le monde entier veut anéantir l'islam parce que l'islam est la seule force prête à combattre le mal".
Cette lente dérive a eu un autre effet inattendu. La laïcité était une valeur clairement progressiste. Onfray chantre de l’athéisme hédoniste et individualiste des bobos et Marine le Pen qui invoque la laïcité pour vilipender le foulard et refuser le repas sans viande de porc ne sont pas progressistes.. Tout un courant socialisant qui justifie les ingérences au moyen – Orient par le féminisme et la séparation de l’Eglise et de l’Etat n'est pas davantage de gauche .Une "laïcité de contrat social" est donc à refonder. Ceux qui ont pris leur parti d’inégalités outrancières et de discriminations ne sont pas progressistes et ne sont pas laïques : ils utilisent la laïcité comme outil pour le maintien des privilèges.
Un manifeste paru dans l'Humanité du 2 mars 2017 et plutôt destiné à construire une république "polyphonique" contient en réalité toute la problématique de cette laïcité à refonder. Pour preuve sa fin: "L'universel républicain a toujours été un horizon, une aspiration fondée sur la fiction du citoyen abstrait dépourvu de tout déterminisme (social, culturel...) ; mais jamais une réalité concrète. Il convient d'inventer un universalisme en actes répondant aux revendications d'égalité politique et sociale en sortant des casernes doctrinales et en s'affranchissant des tabous dogmatiques. Un universalisme pluriel fondé sur une République des communs permettrait de fixer collectivement les bornes du multiculturalisme en posant comme valeurs communes ne souffrant pas de dérogation le caractère démocratique de nos sociétés, la liberté et l'égalité de tous les êtres humains.
Un aggiornamento de nos valeurs républicaines est nécessaire pour que notre République ne soit pas un musée mais une cité, une agora de citoyens égaux et différents. Cela passe dans les politiques publiques par la valorisation de l'interculturalité qui nourrit; par la nécessité de soigner les blessures identitaires quelles qu'elles soient, héritées du passé ou fruits de discriminations actuelles ; par l'urgence de mettre en œuvre des politiques publiques expérimentales d'égalité réelle fondées sur des critères objectifs sociaux et territoriaux ; une « discrimination positive à la française» s'inspirant des concepteurs des zones d'éducation prioritaire à l'origine : «Donner plus à ceux qui ont le moins. »En somme, il s'agit ni plus ni moins d'écrire un autre récit national où la reconnaissance des uns n'est pas vécue comme une menace pour les autres. Une conception de la nation où égalité et différences se concilient."
Henri Ausseil